PASCAL VREBOS DE PATMOS, DRAMATURGE & THAUMATURGE

Depuis plus d’une décennie, sous le soleil de Patmos, s’écrivent d’autres ouvrages que la sublime Apocalypse que l’on doit à saint Jean. Les touristes ont accès à la grotte où se composa cette visionnaire évocation d’une finalité cosmique à laquelle on n’a cessé de se référer à l’approche du tournant de siècle et de millénaire que nous venons de vivre et dont les ondes de choc continuent de nous parvenir. Peut-être visitera-t-on un jour un autre lieu d’écriture installé sur cette île de la mer Egée : la terrasse où, l’été, Pascal Vrebos se voue pleinement à l’écriture, et plus particulièrement à son oeuvre de dramaturge. Le voisinage avec le refuge devenu mythique du prophète n’est pas fortuit.

Si Vrebos a ressenti le tropisme de ce lieu inspiré entre tous, c’est que son penchant littéraire, et plus précisément théâtral, l’orientait irrésistiblement vers ce promontoire hellénique. Pour beaucoup d’écrivains, l’espace où l’on rédige a une importance majeure — ils ne peuvent pas tous se contenter d’une table de bistrot ou d’un portable sur les genoux —, et c’est bien le cas en l’occurrence. Son univers mental s’inscrit dans une manière de grand écart entre les thématiques de fins dernières et un souci permanent de lisibilité, d’accessibilité. Une polarité qui l’obsède et définit d’ailleurs aussi sa démarche d’informateur.

Vrebos est un auteur prodigue, on ne peut que le constater, à soupeser le poids de ce volume réunissant son théâtre complet, il est aussi un écrivain prodige. Il n’avait pas dix-huit ans quand sa première pièce fut montée. Un Agenda orange dont je vis la création dans la chapelle de Boondael à Bruxelles, au lendemain de la grande bousculade intellectuelle de 1968. Le texte, déjà, était fouettant : on y voyait à l’oeuvre un nouvel auteur pour qui la scène était surtout la caisse de résonance d’un langage qui avait secoué tous ses jougs.

Quels avaient été les incitants de ce très jeune homme à rivaliser avec Molière et Shakespeare ? Deux rencontres, essentiellement. L’une, bien concrète, avec un poète de la scène qui s’inscrivait dans une lignée que seule la Belgique pouvait engendrer. Paul Willems, qui présidait à l’époque aux destinées du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, était le descendant en droite ligne de Maeterlinck, de Crommelynck et de Ghelderode. Comme pour ses prédécesseurs, la cage de scène lui semblait pouvoir être ouverte à tous les sortilèges : il est donc probable que c’est par ce voisinage que Vrebos vit d’emblée que le théâtre pouvait ne pas être mimétique, c’est-à-dire refléter le « réel » que nos sens permettent de capter, mais nous faire accéder à une autre dimension, que le langage est à même de faire advenir.

Un autre écrivain l’a confirmé dans cette conception, Eugène Ionesco. L’auteur de La Cantatrice chauve était encore, à l’époque, en pleine élaboration de son oeuvre (Le Roi se meurt date de 1962), et Vrebos s’inscrit comme naturellement dans son orbite. Il trouve en lui son émancipation poétique, il voit que le découplage du signifié et du signifiant est un formidable levier de la communication théâtrale, parce qu’il stimule la vigilance du spectateur, confère à chaque personnage une créativité singulière, fomente la collision sur scène d’univers verbaux divers, voire disparates, et tire de ces heurts un enchevêtrement de déflagrations qui maintiennent la pièce à un très haut niveau de surchauffe lexicale et de virulence logique.

La réunion en un seul volume de l’ensemble de son oeuvre théâtrale (il y aurait matière, par ailleurs, à réunir les romans de Vrebos, ses essais aussi, qui sont souvent, comme dans les cas de son périple en Russie gorbatchevienne ou de sa visite fondatrice à Henry Miller, des enquêtes philosophiques) est à cet égard une contre-expertise très révélatrice. Elle atteste, pour commencer, de l’évidente cohérence de ce travail. Vrebos est porteur de quelques idées fixes qui relèvent des grandes interrogations des bipèdes que nous sommes. En attendant de mourir, nous sommes appelés à nous reproduire, à nous organiser en sociétés, à échafauder ce qu’il est convenu d’appeler de la civilisation. Le problème, c’est que, dans tous ces cas de figures, nous nous y prenons très mal. L’amour est souvent une simagrée qui dissimule mal des mobiles qui n’ont rien d’édifiant, nos sociétés sont, comme l’aurait dit Ionesco, de formidables bordels qui attisent plutôt qu’elles n’apaisent nos pires pulsions, et, en fait de civilisation, on a plutôt affaire à du décervelage. Ces données-là constituent la base continue d’un arsenal de comédies plus ou moins farcesques dont on s’aperçoit que même si certaines d’entre elles ont plus d’un quart de siècle d’âge, elles restent toujours aussi pertinentes. C’est que l’époque s’est mise à ressembler à du Vrebos.

A l’heure de la pornocratie, du matérialisme triomphant, de la déroute idéologique généralisée, du cynisme sans frontières, l’univers de Vrebos a l’air de s’être disséminé à perte de vue. Le langage s’est déglingué, les familles se sont pulvérisées, les idéaux se sont fracassés, l’individu n’est plus qu’un leurre et les mots sont interchangeables. à l’heure où il a posé ces diagnostics, on pouvait encore les tenir pour les hypothèses arbitraires d’un jeune homme animé d’une sainte colère. Aujourd’hui qu’il est confirmé sur toute la ligne, il en est presque devenu un réaliste servile. C’est ce qui m’avait fait écrire, il y a presque vingt ans de cela, lorsqu’il fut primé par la Société des Auteurs, qu’il était un écrivain pour le XXIe siècle. Franchement, je ne croyais pas si bien dire !

A découvrir, ou à redécouvrir cette boîte à malices d’une rare unité d’inspiration dans la diversité, on ne peut que convenir que le théâtre de Vrebos, même s’il n’hésite pas à farfouiller quelquefois dans le trivial — n’a-t-il pas écrit, en toute complicité avec le grand et très regretté Gaston Compère un Fouille-merde de défoulante mémoire ? —, est d’inspiration métaphysique. Une métaphysique sans référence à une transcendance divine (ce serait trop simple), plutôt une quête acharnée du sens dans un univers non balisé où l’homme ne peut se référer qu’à ses modestes réserves de raison et de déraison, les deux remarquablement équilibrées d’ailleurs, parce qu’il y a de la méthode dans cette folie, comme dit le sage Horatio dans Hamlet. On n’a pas affaire à du théâtre anecdotique, ou politique, ou courtement satirique (satyrique, oui, quelquefois, mais c’est une autre histoire), plutôt à la mise à la scène de nos hantises primales (comme le cri du même nom) projetées sous les feux des projecteurs. Strindberg, cet autre visionnaire de la scène, appelait cela son « intima teatret », son théâtre intime, parce qu’il voulait y fomenter du spectacle avec ses songes. Vrebos est dans cette filière-là, celle du génie suédois qui composait des sonates pour les spectres. N’a-t-il d’ailleurs pas, à l’invite de Jacques Huisman, qui eut le discernement de reconnaître son talent très tôt, adapté le chef-d’oeuvre d’un autre géant scandinave, le Peer Gynt du Norvégien Ibsen ?

Pour beaucoup, étant donné la notoriété médiatique de l’auteur, cette publication sera une totale surprise. Quoi, le brillantissime présentateur des débats dominicaux de RTL-TVi, l’intarissable commentateur de l’actualité sur les ondes de Bel RTL aurait une face cachée, littéraire et dramatique, en marge de son activité de grand communicateur ? Y voir une contradiction, voire une incongruité serait une grave erreur. D’une part parce que l’oeuvre théâtrale de Vrebos est nourrie de sa connaissance des soubresauts du monde, qu’il ne répercute cependant pas tels quels, mais traduit par l’imaginaire. D’autre part parce qu’il organise ses débats comme des comédies, auxquelles il arrive quelquefois qu’elles prennent un tour tragique. C’est la raison pour laquelle il se récrie lorsqu’on lui fait porter le titre de journaliste. Il reste toujours et avant tout, rappelle-t-il à qui veut l’entendre, un dramaturge. Nous ajouterons : un thaumaturge, à savoir un faiseur de miracles. Quelqu’un qui a le pouvoir de convoquer sur la scène, en quatre dimensions, celle du temps compris, nos inquiétudes, voire nos épouvantes, et d’en faire matière à rire de surcroît. Il était temps qu’une brique de papier nous fasse prendre la mesure de cette prouesse.

Jacques De Decker
Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique
(Pascal Vrebos, Oeuvres théâtrales complètes, © Le Cri édition, 2008)

 


 

Pascal Vrebos, le révélateur d’hypocrisies et de simagrées…

L’index sur la bouche pour nous demander silence et attention, le regard souriant de malice pour nous indiquer qu’il nous convie à une surprise : c’est ainsi qu’apparaît Pascal Vrebos sur la couverture du volume de près de 1.000 pages orné de son nom suivi de « Œuvres théâtrales complètes »…Complètes à la date de la publication faudrait-il préciser car notre homme, comme chaque été sur la terrasse de sa maison de Patmos a écrit en août l’opus 2009. La princesse Camilla lui a inspiré cette vingt-quatrième pièce qui installera la Cour d’Albion au panthéon grinçant de ses personnages.
Oubliez le Vrebos que vous entendez et voyez sur les ondes : ici c’est au vrai Vrebos (si j’ose cette allitération) que nous avons affaire. Dramaturge grinçant et lyrique, il a écrit ses premières pièces quand il avait à peine 17 ans. Paul Willems les saluait déjà qui écrivait à propos de « Tête de Truc » : « J’aime le lyrisme grinçant et tendre qui anime vos dialogues et si les banalités voulues de certaines répliques se souviennnet parfois d’Ionesco, il n’en reste pas moins que le texte va court, du pas de la vraie invention ». Il est un grand auteur de théâtre dont plusieurs pièces ont été jouées et célébrées à l’étranger, là où Vrebos n’est « que » auteur dramatique et où on ne se retourne pas sur son passage dans la rue. Il est aussi un auteur engagé et humaniste. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le monologue bouleversant intitulé « Le viol d’une petite cerise noire ou d’une griotte ». Il est aussi et surtout, à la manière de Ionesco ou Beckett un fastueux dilapideur de créations verbales, un révélateur d’hypocrisies et de simagrées, un chercheur de vérité derrière les apparences.
Avant d’entrer dans le théâtre de Vrebos, lisez la préface de Jacques De Decker. Jeune professeur à l’époque, il voulut rencontrer le gamin Vrebos lorsque ce dernier obtint et publia un interview de Félicien Marceau. Vrebos avait convaincu l’Académicien, auteur de « L’œuf », de lui accorder une entrevue ! Il avait à peine seize ans…
Il remettra le couvert en 1979, mais c’est à un monstre sacré universel qu’il va s’attaquer : Vrebos prend la direction de Big Sur, pour tailler une bavette avec Henri Miller dans sa maison blanche de Pacific Palisades ! Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Pascal Vrebos nous raconte comment Gérard Valet, mis au courant de ce voyage, lui avait prêté son Nagra et enseigné les rudiments de l’enregistrement radiophonique…Cela nous a valu naguère un récit, publié au CRI en 1991 et accompagné d’un CD dont l’éditeur Christian Lutz nous pardonnera de copier un bref extrait… (© Le Cri et © Belfond pour la France).
Rencontrer Pascal Vrebos hors de ses studios quotidiens, c’est découvrir un auteur attachant, intelligent, sensible et profondément humain. Observateur attentif de la condition humaine, il la raconte avec la vraie intelligence de ceux qui ne condamnent pas, mais qui veillent à ne jamais être dupes.

Edmond Morrel Espace Livres

Oeuvres théâtrales complètes. editions le CRI

http://www.espace-livres.be/Nom-VREBOS-Prenom-Pascal

 


Lady Camilla… Vrebos à Buckingham : sa dernière pièce se joue au Théâtre des Galeries à Bruxelles

Une pièce qui place sous le regard ironique mais empathique de Pascal Vrebos les scandales, les amours, les calculs et le cynisme de la cour d’Angleterre et de la raison d’Etat.

Le théâtre de Vrebos nous avait habitués à l’habileté des mécaniques dramatiques que l’auteur manigance dans son île de Patmos où il se retire chaque été avec décors, intrigues et personnages. Il s’attaque ici à forte partie, digne à la fois du grand Will et de Tom Stoppard : la comédie cruelle de la raison d’Etat qui se résume à la devise : « Il faut remettre de l’ordre. »

Nous avions déjà rencontré le dramaturge Pascal Vrebos à l’occasion de la sortie de ses Oeuvres théâtrales aux Editions Le Cri et nous écrivions en conclusion de la diffusion de l’interview : « Rencontrer Pascal Vrebos hors de ses studios quotidiens, c’est découvrir un auteur attachant, intelligent, sensible et profondément humain. Observateur attentif de la condition humaine, il la raconte avec la vraie intelligence de ceux qui ne condamnent pas, mais qui veillent à ne jamais être dupes. » Il n’y a rien à ajouter ni à enlever à ce bref portrait de Vrebos lorsque ce dernier s’attaque à une entreprise doublement périlleuse comme celle de Lady Camilla. Le premier danger réside dans le choix d’adapter pour le théâtre un sujet aussi médiatique, connu de la planète entière, filmé, photographié, enregistré jusqu’à la nausée. Le second réside précisément dans le choix du langage théâtral pour traiter de ces personnages qui semblent fabriqués idéalement pour la télévision scintillante ou le papier glacé.

Vrebos s’est joué de ces deux difficultés avec brio et intelligence, mais aussi, et surtout, avec sensibilité. Il n’a pas fait un « copié/collé » de ce que tout le monde connaît ou croit connaître. Il a construit autour de ce « ménage à trois », pour reprendre le titre d’un brillant essai de Marc Roche (dont on peut écouter l’interview dans Espace Livres), une comédie grinçante qui nous donne à voir les déchirements intimes, les abysses de noirceur, les fragilités et les lâchetés de ces marionnettes qui ont pour obligation de ne pas vivre d’amour, si ce n’est au risque d’être sacrifiés au nom de « l’ordre ».

La mise en scène de Fabrice Gardin valorise avec finesse et efficacité la subtilité de jeu de chacun des comédiens, dont aucun ne joue à « ressembler ». On n’a pas fini de s’interroger sur ces sombres arcanes que sont les jeux de pouvoir : l’actualité qui embrase les dictatures qui se croyaient invulnérables donne un écho particulier à la comédie que signe Vrebos. L’invention dramatique, à l’instar de la fiction romanesque, nous donne peut-être des clés de compréhension du monde ? Elle nous encourage en tous cas à ne jamais cesser de l’interroger.

 


LA HANTISE DU MASQUE DANS LE THÉÂTRE DE PASCAL VREBOS

Crime magistral ou L’homme descend du songe

Disséquer les masques sociaux, démasquer l’imposture validée par les convenances, dénoncer les poncifs de notre quotidien, ce sont les catalyseurs des textes de Pascal Vrebos qui cherche, à travers ses pièces de théâtre et ses romans, à connaître et à comprendre l’Autre, l’homme au-delà de ses masques. D’ailleurs, ne sommes-nous pas dans une époque où tout est communication, où l’Autre devient indispensable dans notre propre quête identitaire ? L’oeuvre protéiforme de Pascal Vrebos s’harmonise dans la configuration de cette appréhension de l’Autre et s’articule sur l’intention de mettre en cause la doxa de notre contemporanéité. Vrebos choisit le théâtre comme espace privilégié de mise à nu de ces clichés sociaux, car au théâtre, affirme-t-il, « tout est possible surtout l’impossible, l’indicible, l’utopie […]. C’est aussi le lieu par excellence où la “grimasque” sociale peut être dénoncée avec humour, le lieu où les masques tombent, virevoltent ». Et dans ses textes, Pascal Vrebos réussit à donner voix à ces moi possibles, ces moi refoulés qui constituent le fond inépuisable de la subjectivité. Son but le plus important : annuler le mensonge.

Ce projet subversif se matérialise magistralement dans le monologue de Crime magistral ou L’homme descend du songe qui déconstruit, masque par masque, l’illusion sociale et académique. Les masques y tombent par un geste qui ne peut s’envisager sur la scène que sous forme discursive, acte de parole par excellence, qui convoque le spectateur à expier l’hypocrisie à travers le rire. Acte de parole et de dénonciation, le discours du professeur Boulanger, Nobel raté, « prépensionné de force », met en scène devant un personnage collectif et fantomatique (ses étudiants) un double procès : celui, d’une part, de l’imposture professionnelle et, de l’autre, celui du mensonge quotidien de sa vie personnelle. Cette volonté de mise à nu de l’inauthentique déclenche un accès de lucidité de sorte que le protagoniste dénudera le réel avec une cruauté préméditée, destinée à rendre visibles les ficelles qui manipulent la farce quotidienne. Et pour que les masques tombent véritablement, le discours du professeur sera axé sur son propre parcours existentiel, soutenu par une rhétorique de l’auto-interrogation. Un tel discours ne saura être efficace que si l’orateur détruit d’abord ses propres masques. Comédie ? Tragédie ? Nous pouvons dire les deux à la fois : une mise en liberté de la parole, un dépouillement de toute inhibition du langage, de toute fausse pudeur, la recherche de l’expression libre, celle qui, en fait, délivre l’homme de ses préjugés qui l’empêchent d’être lui-même. Rêveur de liberté, le personnage de Pascal Vrebos réussira à dire la vérité, à se dire sans fard. Son monologue démystificateur, qui contrevient à toutes les normes conventionnelles et académiques – et qui divulgue le meurtre de sa propre femme –, est l’expression de sa révolte, de son audace, celle d’avoir eu la conscience de la nécessité d’une réaction, d’une mise en acte de sa révolte intérieure.

Il faut avant tout remarquer la préférence, chez Pascal Vrebos, pour ces personnages en quelque sorte en marge de la société qui mettent en lumière les tares mêmes du milieu où ils vivent et où, d’ailleurs, nous vivons. Ses héros, versés du paraître, ont la conscience de leur propre imposture et de l’imposture à l’échelle sociale, car pour eux, le principe gouverneur c’est dissimuler ce que l’on est, simuler ce que l’on n’est pas… ce qui implique de toute évidence de ne pas dire – jamais – ce qu’on pense et ce qu’on croit ; et aussi de dire – toujours – le contraire. Toute parole prononcée en public est mensonge, aussi la vérité devient-elle ésotérique, cachée, elle n’est jamais accessible au commun. Le mensonge devient incontestablement une arme aussi bien qu’une manière d’être.

Les pièces de Vrebos sont, par conséquent, habitées par des marginaux mis au microscope avec leurs tares, leurs complexes et leurs mensonges ; la stratégie du dramaturge est celle d’une écriture qui expérimente le pouvoir thérapeutique et subversif du langage.

Boulanger, le professeur de physique quantique du Crime magistral ou L’homme descend du songe, rêve de temps en temps à une gloire personnelle, à découvrir au moins une miette d’un ineffable absolu, essaie de résoudre les grandes énigmes de la vie, mais quoi faire quand on se heurte aux abjections de la réalité ? Ainsi, dans son dernier cours, le discours pédagogique se métamorphose en un acte – de parole – non conventionnel et séditieux. Passionné du mot mis en scène, du mot écrit pour être joué, Pascal Vrebos ne fait que jouer sa propre vie devant le spectateur-lecteur qui sortira purifié de cette « aventure » fictionnelle.

L’auteur de la « suite » de L’Avare use de l’ironie et surtout de l’auto-ironie pour mettre en oeuvre le « grand plan » des démasquements. La méthode est sans faille, l’auteur manipule son personnage de sorte que le lecteur soit initié au masque, y adhère même pour qu’à la fin le masque tombe sans aucune chance de réhabilitation. Le monologue du professeur se construit sur les mécanismes rhétoriques d’un dialogue vif qui implique sans cesse le spectateur dans le jeu du dévoilement. Les personnages interpellés constamment par Boulanger, ses étudiants, ne font qu’incarner toute une galerie de typologies humaines: ce héros collectif s’imposera au fur et mesure comme une somme d’individualités repérables dans la vie d’au-delà des planches. Mais ces personnages n’existent que dans et par le discours du Maître, la pièce étant, ainsi, un monologue exhibé devant celui qui regarde. Grâce à ce dialogisme fondamental du discours de Boulanger, défilent devant le spectateur les typologies qui structurent notre société dominée par l’arrivisme et pervertie par l’argent : le riche à qui tout est permis, qui bénéficie du grand atout offert par le « Capital » ; l’étudiant consciencieux ; la pauvreté intelligente vouée, par manque d’argent, à l’anonymat ; la femme sans succès et médiocre ; la féminité qui use de ses charmes pour assurer son avenir ; la galerie pittoresque des personnages de la vie universitaire. Démasquement de la farce sociale, de la farce familiale, de la farce académique ; nous sommes tous montrés du doigt et mis en question à travers un langage direct et violent. Car le langage de la vérité est tout aussi virulent que celui du vice.

Le mot proféré par le protagoniste fait exister les étudiants, en même temps que le mensonge universitaire et social, sans oublier le meurtre. Le mot devient, par conséquent, un actant dédoublé du protagoniste. Ainsi, le personnage de Vrebos se définit et existe en fonction de deux réalités essentielles : son discours et l’événement rapporté. L’action dramatique est substituée cette fois par sa description, ou plutôt, par le mot qui devient acte. C’est pourquoi la construction du dialogue n’est pas du tout compromise dans le Crime magistral, au contraire, le dialogue existe comme prétexte du discours dramatique. En fait, le personnage mime dans son discours toute une « anecdote », une action, en réussissant à accomplir un démasquement spectaculaire, une démystification du mensonge quotidien.

Passionné des paradoxes et des expressions aphoristiques, le Professeur joue ses mots en déjouant toute intention « sérieuse ». L’architecture de l’énoncé s’avère, avec chaque phrase, subversive, ironique :

« Des questions ?
Tout est-il clair, limpide, lu-mi-neux ? 
Ah ! Si vous avez compris, c’est que vous avez sûrement tort !
Notez, méditez ce paradoxe… 
Oui… Monsieur Cordier, vous avez la parole… 
C’est bien, Cordier, vous irez loin… Vous venez d’anéantir la première hypothèse, le vieux Cartwidge ne sera pas content… et la mienne, monsieur Cordier, et la mienne, elle tient le coup dans votre esprit sans pitié ?… 
Il n’ose pas ? Pensez-vous, mademoiselle Deru, la jouissance de l’étudiant surdoué est de tuer le Maître, moi en l’occurrence, mais il n’y arrive pas encore, le Vieux reste encore plus fort, (Avec un soupir) plus pour longtemps…
Mais j’aimerais demander à monsieur Jean-Alphonse d’Outrive ce qu’il pense de ces hypothèses… Ah! Pas grand-chose, je m’en doutais… 
Mais oui, je connais votre rengaine, “Je bloquerai à la dernière minute et je passerai au rasoir, je préfère batifoler, jouir de la vie, faire du dilettantisme un art de survivre…” »

Pascal Vrebos crée un langage épuré de tout préjugé social qui risque, autrement, de nourrir des dogmes et des falsifications quotidiennes et qui ne cesse d’agoniser tout en cachant la vraie nature humaine. Le rire devient un instrument absolument nécessaire dans ce procès intenté au mensonge. C’est la voie vers l’homme d’avant l’aliénation sociale. Et le mécanisme de démasquement se met en marche par l’ironie et surtout par le comique du langage. Mais le comique est vite douloureux quand il est humain. Parfois ses personnages ont des nuances tragiques, ils ont l’angoisse de la mort et de la solitude, et le comique est si flagellateur que le rire provoqué par le texte est assez jaune.

Le protagoniste du Crime magistral est le porte-parole des plus cachées révoltes intérieures, dont on craigne le dévoilement, puisque l’on accepte à s’impliquer dans tout ce qui construit le quotidien. Le crime avoué à la fin est le geste libérateur ; ce n’est pas seulement la femme de Boulanger qui meurt, le meurtre vise l’abolition des contraintes quotidiennes. Mais un « coup de théâtre » abolira-t-il « l’échec cuisant » de la vie ? La réponse nous appartient, c’est à nous de décider si l’on choisit la liberté ou la claustration dans nos propres masques. La fin du Crime magistral invite le spectateur à donner son propre verdict. Car on ne peut point rester innocents, indifférents au discours du professeur Boulanger. Et notre réponse est importante.

Raluca Lupu
(Pascal Vrebos, Oeuvres théâtrales complètes, © Le Cri édition, 2008)
 
Un rêveur à haute voix

Théâtre de Vrebos: Les Éditions Le Cri à Bruxelles ont publié tout récemment une brique de 932 pages intitulée “Œuvre théâtrale complète”.

Il s’agit de celle de Pascal Vrebos, le célèbre journaliste belge de radio et de télévision, professeur au Conservatoire de Bruxelles et à l’ULB, et elle compte 23 pièces aux titres parfois bien alléchants (Le mouroir des alouettes, L’homme descend du songe ou encore Tête de truc) mêlant situations dramatiques et amusantes, tendresse, érotisme, humour, jeux de mots, cynisme, délire verbal et absurde bien de chez nous.

Ses personnages, des gens simples à la recherche de la paix et du bonheur, s’y retrouvent régulièrement confrontés à la violence du monde, aux dangers de la science et à l’hypocrisie de leurs semblables (quand il y en a encore…) et ils mettent en évidence l’affirmation de Pierre Dac selon qui « quelqu’un venu de rien pour n’arriver nulle part n’a de merci à dire à personne »…

Sorte de Ionesco post-moderne mâtiné de Sartre, de Pinter, de Woody Allen, de Ghelderode et de Crommelynck, le dramaturge Vrebos, couvert de lauriers à travers le monde, traduit et joué dans un grand nombre de langues, est largement méconnu en Belgique, et c’est tout aussi normal que regrettable : Jésus-Christ lui-même n’assurait-il pas que nul n’est prophète en son pays ?

Gageons que ce pavé théâtral fera tout de même quelques grands ronds dans la mare de l’indifférence dramatique, du repli tragique et de l’ignorance comique où se complait le grand public de notre « petite terre d’héroïsme » !

Bernard DELCORD

Œuvre théâtrale complète par Pascal Vrebos, préface de Jacques De Decker, Bruxelles, Éditions Le Cri, collection « Terre neuve », septembre 2009, 932 pp. en noir et blanc au format 13 x 20,5 cm sous couverture souple en quadrichromie, quelques photographies de plateau, 30 €

Extrait de Paris Match

 

Un caramel de l’ancien temps

Parfois, Pascal Vrebos a le blues. En Belgique, il est tellement connu comme homme de télévision qu’on oublie qu’il est également auteur et que ses pièces de théâtre sont jouées et traduites un peu partout. Romancier, aussi, comme en témoigne cette réédition. “L’Homme-caramel”, republié chez Avant-Propos vingt-deux ans après sa sortie. C’est qu’à la fois, cette fable n’a pas pris une ride tout en étant encore plus datée. Je ne suis pas clair? C’est une mise en abyme. Le livre est l’étude détaillée, dans cinq mille ans, des faits et gestes d’un sieur Morelle, Marc pour les dames (comme Isabelle Adjani ou Diane Keaton), journaliste de son état, familier des grands et des petits, tireur de ficelles et obsédé sexuel. Comme tous les gens de la fin du XXème siècle vus dans cinq millénaires. Car ce qui est drôle et caustique, ce sont les notules de bas de page qui produisent un effet genre Lettres persanes. Comment peut-on vivre en 1990? À quoi s’ajoute ce décalage d’un quart de siècle qui confère à l’ensemble la patine des chères vieilles choses. (J.R.)

PS. Le titre de la critique fait allusion à une phrase du brocanteur du Vieux Marché qui vend la Licorne à Tintin avant que Loiseau tente de s’interposer. Pascal Vrebos, en homme de culture, le sait sûrement.

PS2. Je ne suis pas payé 50.000 euros par note de lecture.

Pascal Vrebos, L’Homme-caramel, Avant-Propos maison d’édition, Waterloo, 2017, 414 pages, 23€.

L’AS-TU LU,LU,LU? par Nous on l’a lu, le 07 avril 2017

http://www.entreleslignes.be/humeurs/l-tu-lululu/un-caramel-de-l-ancien-temps

 

Pascal Vrebos: «Je fonctionne au désir»

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Mais c’est quoi le lien entre frayer avec le monde du théâtre, élitiste, et écouter chaque soir les auditeurs donner leur avis sur Bel RTL ?

Je n’ai pas choisi la facilité car on aime les catégories. Si j’avais été uniquement auteur dramatique et prof, je serais apparu comme plus sérieux, cela aurait été plus confortable, j’aurais été dans la nomenklatura, politique même, encore mieux. Je suis un peu hors des catégories. Moi, cela me plaît beaucoup de faire « Les auditeurs ont la parole »: ce sont des gens de la vie. J’aime la rencontre humaine, avec le Roi ou avec un inconnu.

En passant de la RTBF, où l’on écoutait vos fameux petits déjeuners au domicile de personnalités sur Bruxelles 21, à RTL, vous avez complètement changé de public et d’univers.

A la RTBF, je n’ai travaillé qu’avec des gens extraordinaires, je me suis beaucoup plu. J’étais collaborateur extérieur, les syndicats voulaient que je passe l’examen pour interviewer les politiques mais j’étais soutenu par des gens comme Christian Druitte, Jacqueline Simon, Claude Derasse, qui disaient oui à toutes mes idées les plus folles. Je n’ai que de bons souvenirs, sauf les deux derniers mois, c’est pour cela que je suis parti. Un jour, Dolly Damoiseau, qui dirigeait le centre de production de Bruxelles et avait dépassé son seuil d’incompétence, m’a dit que je devais donner mes idées aux statutaires ! J’ai décidé de partir et, quelques heures plus tard, Eddy de Wilde m’appelait pour me proposer la revue de presse de la radio qu’il s’apprêtait à lancer, Bel RTL. En janvier suivant, je présentais « Controverse » en télé. Des amis m’ont demandé : « Mais qu’est-ce que tu vas faire à RTL ? » Je leur répondais : « Mais c’est le rôle d’un intellectuel d’être dans un média populaire ! » Je me suis immédiatement plu là, alors à la Villa Empain. Je tombais dans un autre monde.

Avec votre propre fille, vous avez reproduit ce schéma idéal de l’enfance que vous avez connue ?

J’ai essayé. J’ai eu une fille tardive, qui a 20 ans et fait la psycho. Jeune, je crois que j’aurais été un très mauvais père. Je me suis préparé à lui laisser un maximum de liberté de choix dans sa vie pour qu’elle puisse voler de ses propres ailes. J’ai toujours essayé de montrer mes failles. Je pense que nos rapports sont excellents mais j’ai aussi une femme assez extraordinaire. On fait ce qu’on peut.

C’est quoi votre rêve ultime ?

A New York, j’ai été joué dans le off de off. Mon rêve, c’est évidemment d’avoir un jour une pièce sur Broadway. Un auteur dramatique, c’est quoi ? Un mégalomane. Quand vous voyez le nombre de livres dans une librairie, le nombre de pièces au programme, il faut être mégalo, ou être profondément hanté par la mort pour se dire : « Je vais encore écrire quelque chose. » Quand on écrit, on espère de manière utopique laisser une trace, un beau vers, une pièce, même s’il y a peu de chance d’être retenu par l’Histoire. Quand on dit ça, les gens rigolent. Un auteur est un mégalo mais il doit en être conscient et avoir une dérision de sa propre mégalomanie. A la télé, c’est de l’éphémère instantané, cela n’a rien à voir. Si vous interrogez un peintre, il est malheureux s’il n’expose pas.

Vous avez exposé aussi. Des déchets !

Le « déchettisme », oui. Là aussi, qu’est-ce qu’on s’est moqué de moi. J’ai beaucoup réfléchi sur les déchets, c’est très métaphorique car nous finirons tous en déchets. J’ai fait cette expo chez Isy Brachot. J’ai des amis qui m’ont dit qu’ils n’aiment pas du tout cela. Mais des collectionneurs inconnus ont acheté deux de mes œuvres, pas chères c’est vrai, dans une galerie de New York. C’était à mourir de rire : j’ai été la risée des médias mais des collectionneurs ont acheté mes pièces !

On vous a déjà demandé de faire de la politique ?

En boutade, je crois. Tous les partis m’ont approché. Elio Di Rupo m’a même dit dans « L’invité » que je pourrais être ministre de l’Audiovisuel et de la Culture…

« J’ai l’air étonné ? Cela me chagrine qu’on ne le soit pas »

Les critiques vous énervent, vous touchent, vous laissent indifférent ? On fait ce métier pour être reconnu quand même, par ego…

Ça dépend. Je n’ai rien contre la critique, évidemment, même dure, j’en ai eu, que j’ai publiées dans mes œuvres complètes. Quand on crée des choses et qu’on dérange un peu, la critique est presque bon signe. Ce qui m’embête plus, ce sont les critiques ad hominem. Les psychorigidités, les a priori. J’ai toujours aimé faire ça, mais sans penser qu’il y avait ce côté-là. Oui, il y a une part d’ego. Mais être reconnu dans la rue, cela veut dire quoi ? Le chien d’une pub télé, on va le reconnaître. Il y a cette reconnaissance-là, mécanique, et puis il y a celle qui consiste à dire : « Tiens, ce mec apporte quelque chose. » Si on fait des choses, c’est pour faire bouger, apporter, donc aller vers cette reconnaissance-là. Évidemment qu’en télé, il y a des ego énormes mais, par exemple, quand je travaille avec Hakima Darhmouch sur les soirées électorales, cela se passe merveilleusement bien.

Votre style, c’est ce côté faussement surpris, quand vous vous exclamez « C’est grave,

ce que vous dites », « C’est un scoop, ça ».

Les gens pensent parfois que c’est feint, que je joue la comédie. Même Stéphane Rosenblatt (ndlr : directeur de la télévision et de l’information de RTL-TVI) me dit parfois : « On n’est pas à «Controverse» ici. » Bon, il y a parfois un peu de jeu, de dramaturgie à certains moments, mais dans l’ensemble je suis sincère. Je suis étonné de ce que les gens me racontent, oui. Ce qui me chagrine, c’est que les gens ne soient pas étonnés et acceptent des trucs. Que les Français trouvent normal que le Front national soit le premier parti aux européennes me sidère. On trouve normal ici de devoir protéger tous les lieux juifs, moi pas. Moi, je m’en étonne, je m’étonne de voir, devant mon bureau qui se trouve face à la grande synagogue de Bruxelles, tout un déploiement de force pour éviter que l’on tue des gens.

Votre fierté c’est d’avoir créé une agora, à la télévision, un endroit où le citoyen pouvait s’exprimer ?

C’est vrai que j’ai été le premier à faire venir des citoyens. Oui, je crois que c’est important. On peut dire qu’on m’a suivi. J’ai été fort critiqué pour cela au début. quelle idée d’inviter des citoyens lambda ? On m’a traité de populiste. Je doute beaucoup mais, là, j’étais sûr. Lorsque l’on a raison trop tôt, on se fait lyncher. Il faut être courageux. Si poser les bonnes questions ou aborder les sujets tabous, c’est être populiste, alors oui je le suis. Ce ne sont pas les questions qui comptent mais les réponses qu’on me donne.

Franchement, par moments, vous ne pensez pas que vous laissez dire des choses « borderline » aux gens ?

Je ne laisse pas passer ce qui est contre les lois. Je suis contre la peine de mort mais si quelqu’un est pour, on doit en parler avec lui, argument rationnellement. Mais je ne fais pas la leçon aux gens. De quel droit ? Je peux leur dire que le crime n’est pas éradiqué là où il y a la peine de mort, pas les agresser.

Les débats dominicaux, tant à RTL-TVI qu’à la RTBF, semblent au bout du rouleau…

Il faut un peu revoir le concept. C’est un peu la différence entre le zoo d’Anvers et Pairi Daiza. Quand on voit ce concept, le zoo prend un coup de vieux.

Vous avez fixé votre départ de la télé ?

Non. Écrire, je le ferai toujours. C’est une évidence. Quand on n’a plus envie de quelque chose, il faut arrêter. Le jour où j’irai à la télé ou à la radio avec des semelles de plomb, j’arrêterai. J’ai toujours été extérieur, à la RTBF, à RTL, je ne suis pas dans les hiérarchies. Ce qui m’intéresse, ce sont les rencontres. Je préfère avoir le meilleur, pas le côté désagréable de la gestion. Quand je sens que quelque chose est arrivé au bout, j’arrête, comme à « Controverse ». Je fonctionne au désir. Faire des choses qu’on est forcé de faire, cela ne ressemble à rien. Je veux être heureux.

Vous aviez alors un autre projet à RTL-TVI non ?

Si, mais un projet beaucoup trop cher pour le moment. On y a travaillé mais je ne voulais pas le transformer en quelque chose de moins bien.

Tecteo vient d’investir 300.000 euros dans « M… Belgique ». Cela va sauver votre magazine ?

Les autres espèrent notre mort. Je pense qu’on va rebondir avec « Moustique » ou pas. C’est une bonne équipe, jeune, qui a le temps de faire les choses.

Henry Miller : « Je me suis endetté pour le rencontrer »

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La grande rencontre de la vie de Pascal Vrebos aura été l’auteur américain Henry Miller qu’il a rencontré en Californie, en 1978, quelques mois avant sa mort. Vrebos en a tiré un livre d’entretiens, Une folle semaine avec Henry Miller, publié en 1983 par Le Cri. Pour rencontrer l’auteur de la sulfureuse trilogie La crucifixion en rose (Sexus – Nexus – Plexus), le jeune auteur dut s’endetter !

« Mes parents se sont portés garants. C’est un voyage qui coûtait cher. Je donnais un petit cours. J’ai fait un emprunt et j’ai acheté pour 1 million de francs belges d’actions sud-africaines, ce qui m’a beaucoup rapporté. La seule fois où j’ai acheté des actions de ma vie. Quand on va rencontrer Henry Miller, on ne pense pas à l’argent qu’on risque de perdre, j’étais sûr de mon coup. Comment cela s’est-il fait ? Quand j’avais 18 ans, j’ai découvertTropique du cancer et Tropique du capricorne et cela a été un choc, j’ai tout lu. Je lui ai envoyé une lettre de 15 lignes pour lui dire mon admiration et mon enthousiasme. J’avais été remué à tous niveaux, un peu comme avec Céline ou Ghelderode plus tard mais différemment. Je n’attendais pas une réponse et, un mois plus tard, je reçois une lettre de lui en français ! Il m’y demandait si j’écrivais. Je lui ai envoyé une de mes premières pièces,Tête de truc, et il m’a proposé qu’on se rencontre chez lui à Pacific Palisades, dans la banlieue de Los Angeles. Il m’a offert une de ses aquarelles, m’a proposé de loger chez lui et m’a donné de l’argent pour l’hôtel comme j’avais refusé. Je n’ai pas eu l’habitude d’écrire à des écrivains de la sorte. J’ai aussi écrit à Félicien Marceau à 17 ans pour une petite revue, ce qui m’a valu de faire ensuite la rencontre de votre ancien collaborateur Jacques De Decker. »

Paul Willems: « J’étais enfant,il m’a pris au sérieux »

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Fils de Marie Gevers, dramaturge, secrétaire général du Palais des Beaux-Arts, Paul Willems a eu un rôle décisif dans la vocation de Pascal Vrebos. « A 5-6 ans, je vais avec mon père chercher ma mère aux Beaux-Arts et un monsieur s’approche et commence à parler avec moi : c’est Paul Willems. On s’est demandé ce que cet homme pouvait avoir à dire à quelqu’un comme moi. Pourtant, une relation s’est nouée avec lui et, à partir de mes 13-14 ans, j’ai commencé à le rencontrer régulièrement. Tous les mois, il m’invitait dans un petit restaurant italien de la rue du Pépin. On parlait littérature, théâtre. Quand j’avais 6 ans, la première pièce que j’ai vue puisque nous avions des places gratuites, était une pièce de Paul Willems, La plage aux anguilles, à laquelle je n ‘ai sans doute rien compris, mais cela a été un émerveillement par rapport à ce personnage. Willems a lu ma toute première pièce quand j’avais 17 ans, a fait quelques commentaires, elle a été représentée, il en a fait la préface et, avec mes premiers droits d’auteur, c’est moi qui l’ai invité enfin dans le restaurant italien de la rue du Pépin. J’ai aimé l’écrivain aussi, sa poésie, sa faculté d’étonnement. »

Patmos: « Mon biotope d’écriture »

Deux lieux hantent Vrebos. « Il y a la forêt de Soignes et Patmos. J’habitais en face du Rouge-Cloître, on allait se promener dans les champs (il n’y avait pas l’autoroute) avec mon père. Et depuis, beaucoup d’idées de pièces, de romans me sont venues en me promenant là. Et la Grèce ! J’ai évidemment toujours été attiré par la pensée, la philosophie grecques. Du temps des colonels, il était pour moi hors de question d’y aller. J’ai découvert la Grèce plus tard. Mon éditeur m’a dit un jour : «Arrête de parler de Miller et écris un roman.» Je suis allé en Grèce pendant un mois et demi pour l’écrire. J’ai abouti à Grykos, la crique de Patmos où je suis toujours ! J’ai loué quelque chose sur place et j’y suis toujours retourné. C’est un peu devenu mon biotope. J’ai fait construire une petite maison il y a une décennie. Je nage, je me promène. Et j’ai mon horaire d’écriture, Je suis très concentré. Je suis dans le côté sauvage de l’île, j’aime avoir la paix, ne pas trop bouger. J’ai une vieille moto d’il y a trente ans. J’écris sur la terrasse à l’ombre de 15 h 30 à 18 h 30 puis je vais nager dans la mer en contrebas.

Et souvent, je recommence de 23 à 2 heures. »

Le SOIR, 19 juillet 2014