Fait divers

 

J’ai peur de tout… dites-moi pourquoi j’ai peur de tout… vous ne dites rien… votre silence me fait peur, vous voulez que je parle… j’ai peur de parler, de dire des mots qui ne vous plairaient pas, des mots auxquels il manquerait une syllabe, ou deux, des phrases sans verbe avec des virgules crochues et des points de suspension si lourds qu’ils s’enfonceraient dans le silence en faisant un bruit de ressort.

J’ai peur des oiseaux, du bruit sec de leurs ailes, j’ai peur de la sonnerie du téléphone, de l’ombre du facteur, des portes qui claquent, j’ai peur des clowns, des gendarmes, des docteurs, des juges, des orages, j’ai peur de mon père même quand il me sourit, des gardiens, des pharmaciens, j’ai peur du sang, j’ai peur de l’eau, de l’air, des hommes qui dans la rue me frôlent, ricanent, sifflent les doigts tendus.

J’ai peur des femmes avec leurs couteaux dans les yeux qui me regardent, des miroirs qui brisent les visages, des arbres qui étranglent, des chiens qui violent, des trains qui hurlent, des trottoirs qui tuent.

J’ai peur quand le ciel se noie dans la mer et que la mer tremble de toutes ses vagues… et que les vagues jaillissent jusqu’au soleil et que le soleil dégouline sur la terre et que la terre crache de la boue et que la boue éclabousse le ciel et que le ciel m’engloutisse en faisant hurler les étoiles à mort jusqu’à ce qu’elles me noircissent et me couvrent de cendres.

Oh! Merci de m’avoir écoutée, même si vous ne m’avez rien dit.

Un après-midi d’été, à New York, une jeune femme de 23 ans se jeta du haut de l’Empire State Building et s’écrasa au coin de la Fifth Avenue et de la 38e Rue. Au milieu de flaques mauves de membres éparpillées et de la chair écrasée, son visage, préservé dans la chute, souriait.

Pascal Vrebos

 

Une interprétation improvisée de Rodrigue Souweine


La Mort dans l’étang

 

Tous, ils sont là : papa, maman, Erik, la famille, les voisins, même des inconnus,  ils marchent lentement derrière leur visage blanc.

Erik, pourquoi tu pleures ?

Demain, c’était mon anniversaire : 17 bougies, un gâteau encore, il y a dix ans, peut-être moins, je faisais la rose grimpante le long du mur et par la fenêtre, j’ai vu leurs regards sur les draps défaits, maman a crié, je crois, “je n’ai jamais voulu cette gosse”, “et moi, je l’ai voulu sans doute?” papa a ajouté, “on ne peut pas la tuer quand même…”

Ont-ils ri à pleines dents. Alors des épines de roses m’ont labouré le cœur de soleil trop brûlant, et au sol, les pétales brisés, j’ai mangé du gravier, de la boue, et des mouches à peine mortes.

Erik, pourquoi tu pleures ?

Le cortège traverse le boulevard, plus que dix minutes.

Papa regarde sa montre : il n’aime pas perdre son temps à des enterrements. C’est drôle maman qui pleure, jamais vu ça… le curé a bien parlé… il leur a dit qu’ils me retrouveraient plus tard Là il s’est trompé, je me cacherai pour l’éternité, le ciel est infini… Je profiterai de la mort…

Erik, pourquoi tu pleures ?

Demain, c’était mon anniversaire : 17 bougies, un gâteau gris et des boucles d’oreille.

Autour d’eux, des chiens valsent dans le vent, papa pense que maman ne pense pas que papa puisse penser à maman, ils s’embrassaient le dimanche après la messe, la semaine, ce n’était pas toujours dimanche, tiens je me souviens t le dimanche après la messe, la semaine, ce n’était pas toujours dimanche, tiens je me souviens manche, tiens je me souviens d… là il s’est trompé, je me cacherai pour l’éternité, le ciel est infini… je profiterai de la mort…

C’est drôle ici, tout est immobile et tout bouge, tout est doux et pointu, y a pas de mots pour dire comment c’est, faudra que vous mourriez pour comprendre !

Ils se sont arrêtés, chapeaux bas… C’est ça, on me débarque… Hé là doucement…! Oh toutes les couronnes… J’ai jamais eu autant de cadeaux, sauf un samedi soir, Erik avec des mimosas et des mots qu’il coupait en morceaux pour me dire qu’il m’aimait et moi ?

J’étais fiancée au jardin, à la lune de l’étang, au soleil brûlant.

Erik écrasa les mimosas en m’embrassant.

Nous sommes rentrés ivres de néons dans les yeux et du macadam dans le sang.

Ça y est, on me descend, j’avais dit que je voulais qu’on me brûle, puis qu’on me jette dans l’étang, comme éternelle, quels remords vivants !

Erik, pourquoi tu pleures ?

Non, ne me touchez pas avec vos sales fleurs !

Vous me faites mal !

Fichez le camp : laissez-moi mourir ma mort en paix !

Vite, recouvrez-moi de terre, de boue, de gravier, de mouches à peine mortes, je suis tombée comme la lune dans l’étang et le soleil m’a traversé le sang…”

Pascal Vrebos


Petites ires et indignations mêlées

 

Trop de raisons de sentir monter aux lèvres des signifiants de colère — ah ! les saintes colères ! — de réagir et d’agir par les temps qui mutent en presque toutes choses : où que l’on se tourne, où que l’on arrête son regard, crises et crisettes, petites apocalypses ou petites renaissances, fin d’une ère ou éclosion saignante d’une nouvelle humanité ou inhumanité, qui sait ?

Personne ne sait vraiment, surtout pas les présumées élites, mais ça se passe : ça navigue, ça surfe, ça trimarde à vue sur fond de syndrome Titanic, de prolifération numérique et virtuelles, de technologies de science-fiction et de croyances moyenâgeuses, de fractures sociales et de factures financières, de guerres larvées et de terrorisme à répétition…

Ire première

Qui aurait prédit que les Lumières seraient obscurcies par des dogmatiques imbéciles d’un temps que l’on croyait irrémédiablement révolu ? À quand djihads et croisades contre l’ignorance et l’inculture crasse ? Le soleil ne tourne plus autour de la terre depuis quelques siècles — et Dieu lui-même sait comme ce fut compliqué de le démontrer à ses sbires autoproclamés et de le faire accepter face aux vérités indûment révélées ! — et pourtant, c’est toujours, et plus que jamais, l’irrationnel qui mène le happening en ce bas monde et qui en plus, pour certains particulièrement atteints, épouvante la planète. Où sont donc les Holbach, Diderot, d’Alembert, Condillac, Voltaire et consorts d’aujourd’hui ?

Prenez la sacro-sainte laïque liberté d’expression. Faut pas exagérer, quand même. Faut un peu de respect, quoi. Pas blesser. Ne pas jeter aucune huile sur aucun feu. Prendre ses responsabilités. Oui, ses responsabilités de couards et d’accommodeurs déraisonnables.

Il suffit parfois d’un veto « menaçant » de quelques perturbateurs pour que l’autocensure se mette à galoper. Les forces de l’ordre dûment casquées peuvent se déployer dans nos immenses stades pour empêcher des supporters d’en venir aux mains et de tout casser, mais personne pour protéger un auteur, une petite libraire et son personnel ou un théâtre qui oserait monter, par exemple, une pièce blasphématoire, ô néomonstruosité de la pensée !

Voudrait-on oublier l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de ce que je pensais naïvement être une sorte d’évidence que hélas ne partagent plus nos contemporains : « La liberté d’expression » vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’est pas de « société démocratique ».

Le risque est donc le triomphe de l’autocensure à la Pavlov, des litotes tiédasses, de la pleutrerie généralisée où le moindre débat ou les contradictions qui fâchent entraîneront des plaintes pour xxxxxphobie ou des lynchages symboliques.

Est-on en train de dénier que la censure est l’arme chouchoute de toutes les dictatures et l’autocensure, son corollaire ?

Veut-on cette société-là ?

Sommes-nous désormais, dans le forum pluriel de la Cité encore démocratique, inaptes à écouter, voire à entendre, des idées, des arguments, des discours qui cognent, qui nous choquent, qui télescopent nos soi-disant certitudes ?

Serions-nous à ce point ankylosés pour ne pas comprendre une altérité absolue ?

Serions-nous incapables de réfuter des concepts, des dogmes ou des constructions idéologiques qui nous heurtent ? Préférons-nous faire taire des empêcheurs de raisonner en rond et en cercles précautionneusement fermés ?

Si on persévère dans cette voie, on finira vite par supprimer le droit au blasphème, ce droit de critiquer et de se moquer des religions, droit acquis de haute lutte dans la plupart des démocraties occidentales au cours des XIXe et XXe siècles. Quand Marx écrit que la religion est « l’opium du peuple », ou Freud qu’elle est forme de « névrose obsessionnelle », les endoctrinés crieront au blasphème, au manque de respect, au dénigrement du sacré et les censureront avec bonne conscience. Il faut respecter les croyants, les individus, pas les croyances, ni les idées religieuses ou les idéologies…

Débattre de tout sans exclusive, sans tabous se révèle l’antidote par excellence contre les extrémismes imbéciles et dangereux, la propagande péremptoire et les populismes d’inculture.

Les écrivains l’ont expérimenté.

Flaubert, on l’a peut-être oublié, subit les foudres du procureur Pinard pour sa « scandaleuse » Madame Bovary et, plus tard, le même Pinard requiert contre Baudelaire et ses ignominieuses Fleurs du Mal, « un défi jeté aux lois qui protègent la religion et la morale » et il faudra attendre 1949 pour que le jugement soit cassé et certains poèmes « libérés » !

Et l’on sait comment se métamorphose finalement le bâillon : « Là où l’on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes » (Heinrich Heine)

Ire deuxième

Entre les dettes abyssales des états, le saut d’index, les comptes d’épargne sans intérêt, les dotations des uns, les rulings des autres, l’argent, les biens, les possessions concrètes ou virtuelles sont-ils devenus les seules valeurs de notre société pour qu’on en parle aussi abondamment ?

Dommage, si c’est vrai.

Entendrons-nous un jour prochain, au coin des rues, des accusateurs en colère proférer de virulentes diatribes devant les inégalités vitales de plus en plus criantes entre humains : « J’accuse les Affameurs d’infamie, vous qui affamez ou laissez affamer près d’un milliard de vos congénères, oui, oui, un milliard, un humain sur huit, vous visionnez ? Un milliard, mille millions de ventres gros de rien qui ne gargouillent même plus, tous les organes en marmelade… qu’ils n’auront jamais goûtée, mille millions de visages d’os aux yeux exorbités de douleur, qui vous fixent et qui vous soufflent : pourquoi ? Pourquoi moi et mille millions devons-nous crever de faim, de malnutrition comme disant les spécialistes, pas malnutrition, non-nutrition ! Même pas un petit tubercule ou un petit pétale avec un peu de suc, une goutte de sève comme la nature en distribue à n’importe quel insecte, même pas ça.

Comment vous, vous pouvez vous enfiler apéro-cocktails aux mille zakouski, hors-d’œuvre variés, chauds, tièdes et froids, plat en sauce onctueuse avec des pommes comtesse, dessert hypercrémeux aux innombrables coulis délicatement chocolatés et pousse-café importés en sachant qu’à quelques milliers de kilomètres mille millions de femmes et d’hommes comme vous, enfin en moins gros, tirent la langue en sachant qu’ils n’auront rien à se mettre sous la dent – qu’ils n’ont plus depuis longtemps – ni derrière la cravate, un colifichet qu’ils ne connaîtront jamais. »

Ire troisième

Quel paradoxe pour une société qui a permis un allongement de la vie sans pareil dans la courte histoire de l’humanité et qui, à juste titre, s’en glorifie, mais ne relève pas le défi du vieillissement !

Le vieux ne sera bientôt économiquement rentable et apprécié voire choyé que si, rentier, il consomme avec aisance et régularité, joue au mécène avec les générations qui précèdent dont les fins de mois ne sont pas glorieuses, s’inscrive dans la grandparentitude et, surtout, accepte de se faire « financièrement euthanasié » par l’État selon l’expression de Bruno Colmant. Ce vieux-là sera la vache à lait idéal et un modèle politique pour calmer les générations montantes qui refuseront d’être fiscalement tondues pour permettre à des seniors nantis et responsables de la Dette de se les rouler.

Car le cauchemar qui s’annonce dans nos sociétés de rentabilité obsessionnelle, c’est bien l’euthanasie économique voire comme l’écrit Jacques Attali, non sans cynisme, une euthanasie d’État : « Dès qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et coûte cher à la société : il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle ne se détériore progressivement.(…) Je crois que dans la logique même du système industriel dans lequel nous nous trouvons, l’allongement de la durée de la vie n’est plus un objectif souhaité par la logique du pouvoir ».

On imagine aisément que dans notre société individualiste et technocratique, l’euthanasie devienne vite un instrument essentiel de l’état, pire ! un outil de gestion pour les assureurs et les hôpitaux : un manager ferait les gestions « de stocks de malades » selon des critères purement économiques et plus du tout médicaux. Non, non, ce n’est déjà plus de la science-fiction. Au Royaume-Uni, on peut ne plus financer des patients insuffisants rénaux de plus de 75 ans car le coût par année de vie supplémentaire se monte à 200 000 $. L’âgisme possède tous les caractères du racisme ordinaire avec les mêmes potentialités de violence et d’exclusion. Comme l’antisémitisme. Plus jamais ça ? Toujours ça, plus que jamais ça, mais cette colère-là et d’autres, ce sera pour un prochain Marginales.

Pascal Vrebos

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JE SUIS UNE ARTISTE!

Mais oui, mêêêêrde, je suis une artiste !

Vous me croyez pas ? Lisez ! Lisez ! C’est inscrit !Ici !  Carte d’identité ! Cacheté par les plus hautes autorités !

AR-TISSSS-TE!

De quoi ? Artiste tout court et jusqu’au bout des ongles… Artiste de l’art d’interpréter l’innommable… de dire l’indicible… de représenter l’être humain dans ce qu’il a de plus profond, dans ce qu’il ignore de lui-même, artiste de l’âme, alchimiste de vos désirs, de vos peurs, de vos incandescentes pââââsssssions!

Et la maîtrise ab-so-lue de l’Organe. Fosses nasales, pharynx, trachée sans oublier la glotte, ah ça vibre, chuinte et chante dans cette sainte grotte vocale…. si la cathédrale se décathédralisait, comment la recathédraliserait-on la cathédrale, mmhhh? On la recathédralisait comme on l’a décathédralisée, mon mignon minou, minou mignon, douze douches douces, douze douches douces, douze douches douces, douze douches douces, même une seule fois, vous n’y arriveriez pas…

C’est grâce à vous que je suis célèbre. Adulée.

Qu’on me reconnaît sur les grands boulevards.

Qu’on m’idolâtre dans les médias.

Que je suis riche à ne plus savoir comment dépenser mes mirobolants cachets. Merci….

Ça a été dur. Très dur.

Pour une femme, et pas trop mal, c’est encore plus dur.

Eux, ils préfèrent auditionner votre corps que votre âme, embrasser vos lèvres plutôt que votre talent et eux, ils ne vous demanderont jamais la spermission, non, pour eux, c’est l’imvagination au pouvoir… et les mijaurées qui vous feront croire qu’elles ont décroché la gloire avec “le petit chat est mort” ou une fable de La Fontaine sont de fieffées menteuses. Moi, je dis la vérité : mon premier rôle, je l’ai arraché, à l’hôtel Métropole, dans le râle extasié d’un vieux réalisateur…” C’est toi qui es le personnage ” bredouillait-il avant de choir dans un sommeil sonore. Sur scène, je fus … superbe ; mais ce fut un bide et le vieux fut un peu ruiné, excusez-moi, mais le public était primaire, non, pas comme vous, c’était en province, à Bruxelles, un mois de juin très chaud, des odeurs de frites et de théâtre….

Au fond, je n’ai jamais eu un rôle qui me soit tombé sur la tête, c’est plutôt moi qui ai toujours dû tomber le mec, ou parfois la gonzesse, si vous voyez ce que je veux dire oh…on s’y fait, on se sacrifie pour l’Art, on se donne à l’Art, comme disait Sarah Bernhardt, encore plus qu’une nonne à Dieu.

Parfois, je le reconnais, c’était comme une crucifixion, j’ai rencontré des dégueulasses, des pervers, des sadiques – ah, je préférais les masos, car là, mon bon monsieur, tu tapes pour tous les autres qui t’ont tabassée – …Bérénice, je m’en souviens, c’était ……..un fêlé, voulait que je fasse Cléopâtre suspendue à…. pour oublier, je récitais en moi-même toutes les répliques de Bérénice, puis je recommençais, je recommençais…

Je ne recommencerais plus.

D’ailleurs, je suis trop vieille aujourd’hui, ma date de fraîcheur est dépassée, je ne joue plus que dans les fêtes paroissiales des rôles de vieilles qui ensevelissent le corps du Christ dans des tombeaux à moitié ouverts. Des rôles de décomposition…

La journée, je mendie, en récitant la seule fable dont je me souvienne encore et j’invente une vie dont j’ai rêvé et que je n’ai jamais eue. J’ai tout sacrifié pour rien, mon bon monsieur, mais n’empêche, je suis une artiste comme vous êtes un être humain.

Donnez-moi mille balles pour mon loyer et je vous jouerai Bérénice, ou Phèdre ou une vieille duchesse comique, cent balles, j’improviserai des poésies ésotériques, dix balles, des contes salaces à vous faire frétiller debout….  Pour rien… c’est moi qui vous payerai….

Mais quoi, je suis une artiste…

Mêêêêrde!!!

 

Pascal Vrebos

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LA MOUCHE DE LA VÉRITÉ

J’en ai marre d’être polie, j’en ai marre d’être aimable, j’en ai marre  d’être bien élevée, j’en ai marre  d’être souriante, d’être propre sur moi, j’en ai marre de dire le contraire de ce que je pense, j’en ai marre de ne jamais exprimer ce que je ressens au plus profond de moi, j’en ai marre d’être une oui-oui, une qui ne dit jamais non, une qui enrage en silence, une qui sanglote en cachette dans sa chambre et qui redescend tout sourire, j’en ai marre, j’en ai marre, j’en ai marre, marre marre marre…

À partir de cette minute, je dirai tout, tout ce que je pense… et ça va faire mal… mes mots seront comme des balles de mitraillettes…

Tiens voilà maman…

Non je n’irai pas voir tante Mathilde avec toi, pourquoi? Je me fous de tante Mathilde! Moi, une sans-cœur ? Mais toi, tu ne penses qu’à son héritage à la vioque et tu as peur qu’elle change son testament en faveur de ta soeur, alors tu cours la voir chaque jour avec une tartelette “vente rapide” en espérant que cette “chère Mathilde” sera froide à ton arrivée, quoi?, quelle mouche m’a piquée? La mouche-vérité ! Tu es comme les autres: une emmerdeuse corrompue qui joue les bonnes et les braves: tu ne penses qu’à toi, tes toilettes, ton teint hâlé, tes migraines, tes amants, oh ne nie pas, j’ai lu ton agenda, le noir doré, le secret que tu caches sur l’avant-dernière planche de ton armoire et tu vois, jusqu’à présent, je ne t’ai pas fait chantée, j’aurais pu! papa ne sait rien, mais lui, il ne se prive pas non plus avec ses fausses secrétaires, ses voyages d’affaires du week-end, comment quelle mouche me pique, celle de la vérité qui éclate, paf!pif!pof! en fait je te hais, ma petite maman, j’en ai marre d’être habillée correctement, j’en ai marre  d’être propre sur moi, j’en ai marre de dire le contraire de ce que je  pense, maman chérie, car j’ai trop peur de te ressembler plus tard, papa lui, je peux plus le sentir et tu peux pas savoir comme j’angoisse de tomber plus tard sur un mec comme lui…je préférerais encore me faire nonne!

Alors pour gueuler ma colère, mon dégoût contre votre monde d’adultes et de pourris que vous êtes, je serai sale, malpolie, en guenilles, je boirai du bourbon devant vos amis en rotant, je mangerai avec les mains aux dîners de famille en racontant des cochonneries qui finiront par tuer tante Mathilde, et bientôt vous regretterez de m’avoir mise au monde !

Ah! Si, un jour, j’osais leur cracher tout ça, ce serait comme un typhon bouillonnant après une journée tropicale… je respirerais mieux… eux aussi…

Tiens, voilà maman qui arrive…

Maman! Maman! Écoute-moi: je viens d’être piquée par une mouche… La mouche de la vérité…

                                                                                                                                                              Pascal Vrebos

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Manhattan Kaboul

 

Dites- moi pourquoi le monde est bizarre de New York à Kaboul, de Bagdad à Sarajevo…

Je ne comprends rien à la folie des hommes…

Dites- moi pourquoi ils aiment tant faire la danse de la mort, dites- moi pourquoi ils ne peuvent s’empêcher de faire couler le sang et les larmes des enfants…

Je rêve d’une planète bleue éclaboussée d’amour et de soleil doux d’où monteraient les rires d’enfants  qui ne seraient pas affamés, ni orphelins ni estropiés d’où monteraient  les sourires d’adultes… Un petit paradis où la vie serait plus forte que la mort, où la beauté éclipserait l’horreur, où la sagesse mettrait K.O. la méchanceté…

Les grands de ce monde, les hauts responsables, les présidents machinchouette, les empereurs, les rois, les PDG, je croyais que c’était des gens sérieux, mais finalement, ils sont toujours restés dans un bac à sable, ils se disputent comme des enfants qui n’auraient pas grandi ! Ils improvisent, ils jouent et s’ils continuent, ils finiront par tellement abîmer notre planète qu’il n’y aura plus coucher de soleil, ni de printemps, qu’il n’y aura que tristesse et ruines…espérons que nous, on fera mieux qu’eux… sinon les farandoles de notre enfance seront des danses macabres sur une planète fichue et ce serait tellement moche…

À Kaboul, il n’y a que de la poussière et les enfants ne dansent pas. Les talibans les empêchaient de danser et d’écouter de la musique. Ils prétendaient qu’Allah ne voulait pas ça, que la musique, c’était dégoûtant.  Ils sont fous, ces talibans, alors que la musique et que la danse nous font rêver au ciel, aux étoiles, à tout ce que l’univers a de plus beau…

À Manhattan, les taxis jaunes klaxonnent, les gens de toutes les couleurs courent le long des avenues et passent de bloc en bloc pour ne pas rater leur business… Au fond de leur cœur pressé, ils veulent oublier les deux tours fracassées par les fous de Dieu, mais ils n’oublient pas, ils ont peur, ils ne comprennent pas…ils revoient cette poussière, ces cendres…

Ce jour-là à midi il était déjà minuit…

The show must go on… Lui, il est danseur à Broadway. A Broadway, ce n’est jamais la guerre, c’est le show, le rêve, le rythme des âmes,  la cadence des corps, les paillettes du plaisir… Chaque soir, il prend le métro jusqu’à TIMES SQUARE. En marchant vers le théâtre, il lit l’actualité sur les enseignes lumineuses qui défilent dans la nuit. Aujourd’hui  les lettres de lumières parlent de la guerre, mais il n’a pas le temps d’y penser, le spectacle va bientôt commencer.

Elle, elle a raté l’école pendant plus de 5 ans. Pas de sa faute. Mais celle des barbus fous qui lapident les femmes. Elle a presque tout oublié. Elle est comme vidée de tout. Elle a oublié les formules de maths. Elle voulait devenir ingénieur. Construire. Bâtir. Faire du beau sur les ruines de son pays. Elle retourne à l’école. Elles sont beaucoup à retourner à l’école. Il n’y a  pas assez de bancs. Elles sont trois, quatre à un même banc. La fenêtre de la classe est ouverte… On entend même de la musique, la musique de la liberté…

Lui comme elle songeaient souvent à la même chose, mais ils ne le savaient pas…

Notre planète est si belle ! respire le bleu du ciel ; respire le jaune des crépuscules, n’oublie jamais les paysages qui t’ont fait frissonner…

Chaque matin, quand tu t’éveilles, émerveille-toi de cette beauté qui est là, à tes pieds.

Alors, pourquoi détruire ? enlaidir ? saccager ? dévaster ? Pourquoi ? Lui comme elle ne comprenaient pas…

Lui à Broadway, elle à Kaboul faisaient des rêves… des mots découpés par des bruits de bombes et des corps qui tombent à terre : silence de la nuit autour d’un enfant, jeune vierge décapitée sur la place publique, les mollahs d’applaudir, dormir pour oublier la peur, ciel de paix, tout est lumineux, propre, tout est venu autour d’un enfant, jésus qu’on l appelait et sa maman qui murmure  alléluia…

Les mythes sont des rêves de paix dans un monde de guerre…

Lui et elle se sont rencontrés comme dans un roman. Il est allé danser à Kaboul. Elle était là. Ils se sont vus. Ils se sont souri. Les yeux dans les yeux.

Quand elle riait, on voyait sa gencive. Il adorait. Il ne voulait plus repartir. Elle ne voulait pas qu’il parte.

Alors ils se sont fiancés en secret.

Dans un marché de Kaboul, au milieu des ânes et des militaires. Il lui a passé au doigt une bague toute bleue.

Ils savaient que c’était pour toujours.

La guerre s’éloignait.

Il ne  restait plus que beauté, force et amour.

                                                                                                                                                                 Pascal Vrebos

 

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LA MORT, MON AMOUR  

Il y a six ans, un de mes amis mourrait d’une rupture d’anévrisme.

Je fus chargé de mettre de l’ordre dans sa bibliothèque et de trier ses archives.

Le soir, je découvris une lettre soigneusement rédigée sur ordinateur, l’adieu de sa femme, disparue voici déjà dix ans.

Je compris alors que cet ami n’était pas mort par hasard.

 

“Ce sera ma dernière lettre, mon amour… et quand tu la liras, ce soir, sous ton abat-jour, en tétant ton cigare cubain, moi, j’aurai quitté la scène obscène de la vie.

Ne hausse pas les épaules, ce n’est ni un coup de théâtre ni un coup de tête, ni la scène du chantage de l’avant-dernier acte que tu sors de ton répertoire stratégique quand tu sens que tu vas perdre la partie.

Et surtout, ne te fais pas de bile, ta vésicule en dégorge assez après tes dîners

d’affaires.
Rassure-toi : là où je suis ou là où je ne suis pas, c’est sûrement pas pire que sous ton abat-jour.

J’ai cru pouvoir décrocher la lune et donner un peu de sens à cette existence de guignol, toi aussi, tu es un pantin, mon amour, surtout quand ton chauffeur courbe l’échine en te cirant du Monsieur le Président à chaque claquement de porte, un pantin si joliment pantelant après l’amour, jadis, juste après nos tremblements de chair, l’échelle de Richter en prenait un coup, riais-tu, c’est si loin nos orgasmes des deux premiers mois dont tu étais si fier, qu’en reste-t-il, mon amour, pas même l’ombre d’un souvenir, je t’ai pourtant aimé fort, comme la mort, mais pour fuir l’insoutenable vérité qui nous suinte de l’âme, on s’accroche aux illusions d’une passion, on se bricole un semblant de petit paradis!…

Oh moi aussi, j’ai paradé dans ces mirages de gloire sur fond de fric, tout enivrée de ces vanités qui nous boursouflent de ridicule… comme toi, je me suis dopée de ce tourbillon d’apparences : ne suis- je pas une femme qui a grimpé tout en haut de l’escalier social, assez riche, assez belle, assez cultivée, assez intelligente… et c’est rare pour une femme, disais-tu dans un de tes rares moments de bonté… comme les autres, j’ai composé mon bonheur de cocktails cliquetants en duos solitaires, téquila et phrases en stretch… et tous les miroirs reflétaient ma rayonnante réussite.

J’aurais pu mourir vieille et liftée et là, je m’en vais perdre le souffle pas encore trop ridée mais plus lucide.

Échec sur toute la ligne, mon amour, comme toi, comme l’autre clown cloué sur sa croix, comme n’importe qui s’il gratte le vernis jusqu’à l’os, seule avec sa nuit, le cœur cyanuré.

Tu es en train de te dire que je te fais marcher, peut-être même souris-tu sous ton abat-jour et ton double menton ballotte-t-il comme toi, après chaque élection?

Non, ce n’est pas  pour toi que je baisse le rideau, toi, je ne t’aime plus depuis si longtemps, mon amour, tu es un néant si empli de vide que tu en es attendrissant, tu gesticules avec tant de conviction, tu t’aimes et tu t’apprécies avec tant d’adoration que tu es un modèle d’être humain!

Tu étais si satisfait qu’une école portât ton nom!

Et tu rêves, je le sais, d’une statue dans un parc ombragé, d’un boulevard où les lettres de ton nom se pavaneraient pour l’éternité.

Mais tu l’auras, mon amour, tu mens si bien, tu es arriviste, combinard sans morale: tu es un vrai homme d’affaires !

Ce matin, j’admire ton inconsistance, j’envie presque ta vacuité.

J’ai raté ma vie, je vais tenter de réussir ma mort.

Partir sereine.

Ravaler mes aigreurs et rêveries de lumière.

Me fondre dans le cosmos.

Oui, partir avec la vision de la voûte étoilée, cet infini qui poudroie au-dessus de notre enfer…

Je vais avaler un peu de cyanure.

Rapide et propre : pas de sang à essuyer… et tu pourras faire croire à une rupture d’anévrisme si tu ne désires pas que les journaux en parlent.

Le jour où tu décideras de mettre un terme à ta vie, je te conseille vivement le truc.

Tout est réglé dans mon testament sous l’oreiller.

Tu ne perdras pas de temps, mon amour.

Et surtout, ne pleure pas, même une de ces larmes de crocodile que tu verses devant les caméras à un enterrement officiel, souris plutôt à mes cendres lorsqu’un inconnu les dispersera sur une pelouse anonyme.

Tout est mal qui finit mal.

Ton cigare est sans doute éteint et moi, à la fin de cette phrase, je m’allumerai dans l’univers comme disait ta mère, l’angoisse au fond des yeux, avant de passer dans l’autre monde.

Éteins ton abat-jour.

Il fait nuit.

Tout noir comme la vérité.

Il ne faut plus croire aux étoiles, mon amour.

Adieu !

À plus jamais.

Et rassure-toi, mon amour, je ne reviendrai plus.

Une fois, mais pas deux.”

Pascal VREBOS